La Masterclass
Dam

par Natacha Guerdat

Responsable de la recherche chez Asteria IM

Introduction

L’accord de Paris sur le climat adopté en 2015 a vu des gouvernements du monde entier s’engager à limiter la hausse des températures à l’échelle mondiale. Il a ainsi été décidé de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, tandis que le principal moyen identifié pour y parvenir consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).  

De nombreux gaz à effet de serre, tels que le méthane, le dioxyde de carbone (CO2 ) et l’oxyde nitreux sont naturellement présents dans l’atmosphère.  Pendant des siècles, le cycle du carbone, à savoir le flux de CO2 entre l’atmosphère, la biosphère, les océans et la croûte terrestre était relativement équilibré, ce qui assurait une stabilité de la température de surface.  

Le cycle court du carbone nous est familier : il s’agit du CO2 absorbé par un arbre au cours de la journée ou libéré par la respiration. Cependant, il existe aussi un cycle long qui prend de 100 à 200 millions d’années, pendant lequel le carbone est transféré vers les sédiments, les fossiles et les roches. Le carbone peut rester sous terre indéfiniment, libéré principalement par les éruptions volcaniques. Mais lorsque nous avons commencé à extraire et à brûler ces combustibles fossiles en quantités considérables, ces masses de carbone ont été relâchées dans l’atmosphère. Désormais, les émissions de carbone atteignent un tel niveau que les océans et la végétation ne sont plus en mesure de tout absorber. 

Anthropogenic perturbation

Le méthane constitue un autre gaz à effet de serre majeur, émis principalement par le bétail et les décharges. Son potentiel pouvoir de réchauffement de la planète est 20 fois supérieur à celui du CO2 , tandis que sa durée de vie est beaucoup plus brève. Par l’adoption de meilleures pratiques agricoles (ou la réduction drastique de la consommation de viande rouge) et l’optimisation de la gestion des déchets (recyclage, bannissement des déchets organiques des décharges), il est possible de réduire ces émissions.  

Green gas emissions in the EU and in the world

Il existe une corrélation évidente entre le réchauffement climatique et la quantité d’émissions qui s’accumulent dans l’atmosphère. Cela a abouti au concept de « budget carbone », à savoir une quantité d’émissions cumulées à ne pas dépasser. Une fois ce plafond atteint, un réchauffement au-dessus de la cible définie est à prévoir. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) évalue le « budget carbone » restant de la planète à 580 gigatonnes (Gt) de CO2 et estime à 50 % les chances de limiter le réchauffement à 1,5 °C.  

Quelle quantité de CO2 émettons-nous ? 

En 2019, nous avons émis 43,04 Gt de CO2 à l’échelle mondiale (si l’on comptabilise les pertes de carbone dues au changement d’affectation des sols), ce qui représente une augmentation régulière par rapport aux 42,11 Gt enregistrées en 2018.  

Une telle concentration de CO2 est du jamais-vu en 800’000 ans.  En 2020, la baisse temporaire des émissions n’a eu que très peu d’effet sur la concentration de CO2 dans l’atmosphère. 

Survenue en 2020, la pandémie de COVID-19 a fait baisser les émissions de 6,4 %, en corrélation avec une contraction de 6,9 % du PIB mondial. On s’attend donc à ce que les plans de relance économique ne profitent pas de la dynamique de cette diminution des émissions. 

Où en est-on dans notre lutte contre le changement climatique ? 

Pour limiter la hausse de la température à 1,5°C à l’échelle planétaire, les émissions doivent chuter rapidement, pour atteindre 25 Gt d’ici 2030. C’est bien moins que ce que nous émettons actuellement (en comparaison des 42,11 Gt enregistrées en 2018, dont 36,42 Gt proviennent de l’industrie et des combustibles fossiles).  

Si l’on se fie aux engagements et aux tendances économiques actuels, les émissions sont amenées à atteindre 56 Gt en 2030, soit plus du double de ce qu’elles devraient être.  

Considérant le rythme actuel, les scientifiques prédisent que nous épuiserons le budget carbone d’ici 2028 dans le cadre du scénario prenant en considération une hausse des températures de 1,5°C. Cela signifie que la réduction des émissions est urgente et devrait se produire dans tous les secteurs d’activités. Si chaque année de retard épuise davantage le budget, toute action ultérieure en faveur du climat devra être beaucoup plus drastique et non plus progressive.  

Scénarios 

Le GIEC et l’AIE sont les deux organes les plus fréquemment consultés pour expliquer le changement climatique et modéliser la transition vers la durabilité.  

GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat). Il s’agit d’un organe des Nations Unies qui fournit des informations scientifiques sur le changement climatique à travers des publications périodiques. Le GIEC ne mène pas de recherches mais examine et résume la littérature publiée sur le sujet, en évaluant le niveau de certitude des conclusions.  

AIE (Agence Internationale de l’Énergie). Organisation autonome au sein de l’OCDE, elle fournit des informations ciblées sur le système énergétique mondial, y compris sa relation avec le changement climatique. Elle agit en tant que conseiller auprès de ses États membres et des principales économies émergentes, et publie un rapport annuel intitulé World Energy Outlook et qui traite de la transition énergétique. 

Scénarios du GIEC 

Global average temperature surface change

Parmi les plus cités, on retrouve les scénarios RCP (trajectoires représentatives de concentration) élaborés par le GIEC. Ces scénarios décrivent diverses trajectoires de changement climatique à l’horizon 2100, en se concentrant sur les émissions, les concentrations atmosphériques de GES et les impacts climatiques en découlant. Ces trajectoires donnent une idée générale de la vitesse à laquelle nous nous dirigeons vers le réchauffement climatique et du moment où il devient nécessaire de réduire les émissions. Il ne s’agit nullement de recommandations politiques, mais de modèles de projections climatiques. Ces quatre RCP comprennent un scénario de développement durable (RCP2.6), deux scénarios intermédiaires (RCP4.5 et RCP6) et un scénario plus pessimiste avec des émissions de gaz à effet de serre très élevées (RCP8.5). 

Representative Concentration Pathways
RCP2.6 
Réchauffement de 0,3-1,7 °C d’ici 2100
Une trajectoire « particulièrement contraignante » qui exige que les émissions de CO2 commencent à diminuer avant 2020 pour atteindre un niveau zéro d’ici 2100. C’est le seul scénario considéré comme susceptible de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2°C, ce qui signifie que tout report d’action en faveur du climat rendra impossible l’atteinte de cet objectif. Même selon ce scénario, une élévation du niveau de la mer est attendue. 
RCP4.5 
Réchauffement de 1,1-2,6°C d’ici 2100 
Scénario intermédiaire.Les émissions atteignent un point culminant vers 2040, puis déclinent. Le GIEC conclut que la plupart des petits mammifères seront incapables de suivre les trajectoires projetées sous les scénarios RCP4.5 et supérieurs. 
RCP6.0 
Réchauffement de 1,4-3,1°C d’ici 2100 
Autre scénario intermédiaire.Dans le cadre du scénario RCP 6, les émissions continuent à un rythme élevé, culminent vers 2080, puis diminuent. Un réchauffement supérieur à 2°C est probable. 
RCP8.5 
Réchauffement de 2,6-4,8°C d’ici 2100 
Scénario le plus pessimiste. Dans le cadre du scénario RCP 8.5, les émissions continuent de croître tout au long du XXIe siècle. On s’attend à une augmentation des températures de l’ordre de 2,6 à 4,8°C. Cela se traduit par la fonte quasi totale de l’océan Arctique en été, une diminution de 81 % de la superficie du permafrost et l’apparition de nombreux autres effets climatiques. 

Certains scénarios plus spécifiques à l’industrie et développés par l’AIE se concentrent sur le développement durable lié à l’énergie (énergie propre, accès à l’énergie, etc.). On y retrouve le scénario de développement durable (SDS) relatif à la transition énergétique et le scénario de politiques déclarées ou énoncées (STEPS) qui prend pour référence les engagements actuels. L’AIE a en outre récemment développé un scénario appelé NZE (Net Zero Emissions). 

Scénario de politiques déclarées ou énoncées (STEPS) 

L’AIE a évalué les intentions, les politiques nationales et les engagements actuels liés au climat et à la transition énergétique. En comparaison avec le RCP8.5 mentionné précédemment, il ne s’agit pas du scénario le plus pessimiste. Cela implique de mettre en œuvre les politiques déjà existantes. Cependant, l’AIE estime que ces politiques ne sont pas suffisantes pour atteindre la viabilité. En effet, la dynamique en faveur des technologies énergétiques propres ne suffit pas à compenser les effets d’une économie mondiale en expansion et d’une population croissante. Alors que nous observons un ralentissement de l’augmentation des émissions, aucun pic n’est encore en vue, ce qui signifie que nous sommes loin d’atteindre les objectifs communs de développement durable à l’échelle planétaire. À titre de comparaison, l’AIE a élaboré un scénario de développement durable (SDS) qui tend à illustrer l’écart entre les politiques actuelles et les actions qu’il faudrait réellement mettre en œuvre. 

Scénario de développement durable (SDS) 

Le SDS maintient la hausse des températures globales en dessous de 1,8°C avec une probabilité estimée à 66 %. Il est conforme à l’Accord de Paris. Pour atteindre l’objectif de température, l’Accord de Paris appelle à ce que les émissions culminent le plus tôt possible puis diminuent rapidement, conduisant à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions par les puits (c’est-à-dire zéro émission nette). Il comprend par ailleurs un accès universel à l’énergie moderne et la réduction des répercussions sur la santé causées par la pollution atmosphérique liée à l’énergie. Le SDS précise que les émissions mondiales de CO2 provenant du secteur de l’énergie et des processus industriels devraient passer de 35,8 milliards de tonnes en 2019 à moins de 10 milliards de tonnes d’ici 2050 et être sur la bonne voie pour atteindre zéro émission nette à l’horizon 2070. L’AIE ajoute par ailleurs que l’humanité n’est pas en bonne voie d’atteindre ces résultats.  

No simple or single solutions to reach sustainable energy goals

Scénario zéro émission nette d’ici 2050 (ZEN) 

En 2021, l’AIE a publié un nouveau rapport intitulé « Net Zero by 2050 : A Roadmap for the Global Energy Sector ». Dans le cadre de ce rapport, l’AIE a établi une série d’objectifs plus spécifiques relatifs aux énergies propres, tout en gardant l’objectif de maintenir le réchauffement climatique à 1,5°C maximum. Le document fournit une feuille de route portant des échéances, poussant plus loin encore les concepts du scénario SDS et mettant encore plus l’accent sur l’abandon des combustibles fossiles. 

Selon cette trajectoire et en conséquence à la fois des actions immédiates et des innovations futures, les émissions mondiales liées à l’énergie et à l’industrie chuteront de 40 % entre 2020 et 2030 pour atteindre zéro en 2050.

Le solaire et l’éolien deviendront les principales sources d’énergie (70 % en 2050) au détriment des combustibles fossiles qui connaîtront un déclin rapide. D’ici 2050 la demande de charbon aura en effet chuté de 90 % et celle de pétrole de 75 %. La demande en gaz naturel aura quant à elle reculé de 55 %. L’utilisation d’électricité à faibles émissions de carbone en lieu et place de combustibles fossiles entraînera environ un cinquième de la réduction des émissions d’ici 2050. Dans les transports, la part de l’électrique passera de moins de 2 % en 2020 à environ 45 % en 2050. 

Les technologies encore en phase de développement ou de prototype (captage et stockage du carbone présent dans l’air, innovations portant sur les batteries, électrolyseurs à hydrogène) sont appelées à jouer un rôle majeur, ce qui illustre l’importance de la recherche et du développement. Par ailleurs, minimiser la croissance de la demande en énergie grâce à l’efficacité énergétique apporte également une contribution essentielle. 

Annual CO2 reductions from 2020 in the NZE
Selected global milestones for policies, infrastructure and technology deployment in the NZE

Quel scénario utiliser ? 

Quasiment aucune recherche ne fournit des instructions claires doublées de garanties. En 2021, l’AIE a publié un nouveau rapport intitulé « Net Zero by 2050 : A Roadmap for the Global Energy Sector ». L’objectif consiste à procurer des prévisions comportant un niveau d’incertitude donné. Cette incertitude découle d’une dépendance à l’égard des technologies de captage du carbone qui ne sont pas encore totalement développées, des effets de renforcement inconnus que la fonte du permafrost et le rétrécissement de la couverture neigeuse peuvent avoir sur le réchauffement, et d’autres facteurs. Cependant, les scénarios de l’AIE sont plus spécifiques et indiquent quelles sont les technologies, mais aussi quels sont les produits et services qui contribuent à la transition énergétique. Notre théorie du changement est fondée sur les données, prévisions et recommandations du GIEC et de l’AIE, nous permettant ainsi d’intégrer ces connaissances à notre plan d’action. 

Principaux points à retenir 

  • Il existe une évidente corrélation entre le changement climatique et les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. 
  • Le CO2 est le gaz à effet de serre émis en plus grande quantité. Nous observons des records de concentration de CO2 dans l’atmosphère.   
  • Considérant le rythme actuel, nous épuiserons le budget carbone d’ici 2028. Le budget carbone est un plafond d’émissions qui permettrait de limiter la hausse des températures à 1,5°C. Afin d’éviter de graves conséquences sur le climat, nous devrions réduire les émissions le plus tôt possible.  The global surface temperature could rise to 1.5°C. Emissions must reach 25 Gt in 2030 to limit the rise of temperature. It is much lower than we emit now (vs 42.11 Gt in 2018, out of which 36.42 are from industry and fossil fuels).  
  • La température moyenne à la surface du globe pourrait augmenter de 1,5°C. Pour endiguer la hausse des températures, les émissions de carbone doivent baisser jusqu’à atteindre 25 Gt en 2030. C’est bien moins que ce que nous émettons actuellement (en comparaison des 42,11 Gt enregistrées en 2018, dont 36,42 Gt proviennent de l’industrie et des combustibles fossiles).
  • Les scénarios établis par le GIEC fournissent une idée générale sur les concentrations de CO2 et le réchauffement qui en découle. Le scénario RCP 2.6 à trajectoire contraignante prévoit une limitation du réchauffement de l’ordre de 1,5°C. Il implique par ailleurs que les émissions de CO2 commencent à diminuer d’ici 2020 pour atteindre un niveau zéro à l’horizon 2100. Les scénarios s’appuyant sur des concentrations supérieures de carbone prévoient une incidence beaucoup plus grave sur le changement climatique. 
  • L’agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les politiques et les engagements actuels ne suffisent pas pour atteindre la durabilité, et que la dynamique en faveur des technologies énergétiques propres est insuffisante. Le recours à des combustibles fossiles doit être rapidement abandonné. Les progrès en termes d’efficacité énergétique et d’électrification doivent être accélérés. 

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Alpian lancera ses services peu après l’entrée en vigueur de sa licence bancaire et sera disponible pour le public au troisième trimestre de 2022. 
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À propos de l'auteur

Passionnée d’investissement durable, avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine, Natacha est associée fondatrice et membre du comité exécutif d’Asteria IM, un gestionnaire d’actifs à impact basé à Genève. En tant que responsable de la recherche, elle définit la stratégie d’investissement d’impact pour l’ensemble des classes d’actifs. Elle supervise également les activités de recherche et de mesures d’impact. Elle est notamment présidente du comité d’impact.

Natacha est membre fondatrice de Sustainable Finance Geneva et est titulaire d’un master en relations internationales de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève.

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